OÙ COMMENT LA ROCHELLE
FUT LIVRÉE AUX FRANÇAIS SANS COMBAT

 

Le victorieux duc d’Anjou voulant toujours montrer les vraye amour et affection qu’il avoit au Roi son frère et à son royaume et pareillement la hayne qu’il portoit à ses ennemis. L’An de grâce Mil trois cens soixante et treize entra avec grand nombre de gens d’armes au pays de Poitou et Xaintonge pour ce que la plupart des habitans tenoient le parti des Anglois. Si vint mettre le siège devant La Rochelle et fit tant qu’il eut l’acointance du Maire de celle ville nommé Jehan Coudorier lequel lui promit ayde et secours comme au Lieutenant du Roi de France son souverain Seigneur. Si en parla icelui Maire aux plus suffisans de la ville remontrant le grand danger auquel ils étoient d’être pris d’assault et le bon droit du Roi de France et plusieurs autres raisons, et tant les precha qu’ils furent tous d’opinion de recevoir le Duc d’Anjou en leur ville. Mais ils ne sçavoient comment ils pourroient lui livrer le Chasteau, pour ce que dedans étoient plusieurs Anglois en garnison. Toutefois le Maire leur dit qu’il pourvoyeroit bien à cela.

Si contrefist celle nuit une lettre du Roy d’Angleterre a luy adressant, laquelle il scella d’un scel qu’il arracha de quelque autre et contenoit icelle lettre que le Roy d’Angleterre lui mandoit qu’il fit faire les monstres des gens de guerre estans pour luy en la ville et chasteau de La Rochelle, et qu’il lui en fit sçavoir le nombre. Et le lendemain au matin le Maire alla à la porte du chasteau et appela le Capitaine qui Philippe avoit nom, lequel il sçavoit bien nêttre lettré. Si luy dit que le Roy d’Angleterre lui avoit mandé par lettres patentes que lui fit sçavoir combien de Gens d’armes êtoient pour luy es ville et chateau de La Rochelle et pour ce assigna au capitaine certaine place en la ville pour venir devant lui faire ses monstres affin que au vray il en peut faire rapport et en ce disant lui présenta lettres qu’il avoit contrefaites. Le Capitaine qui ne sçavoit lire ne considéra ni l'écriture ni le seing : mais regarda seulement au scel lequel bien cognent, et quand il vit le scel du Roy son Maistre à celles lettres attaché, il admonsta (?) de legiers (?) créance à ce que le Maire lui disoit.

Si saillit du chasteau avec ses Gentilshommes et s’en vint faire sa monstre en la ville et place a lui assignée. Le Maire avoit fait mettre bien trois cens hommes de la ville (tenans son party) en armes, par lesquels le Capitaine et ses gens furent prins : mais pour ce que aucuns de leurs serviteurs êtoient encore desmourés dedant le chasteau, lesquels avoient fermé les portes et levé les ponts. Le Mayre menassa le Capitaine (qui son prisonnier étoit) de lui faire trancher la teste. Lors le Capitaine ayant paour de morir commanda à ses gens rendre la place, ce qu’il firent. Et furent tous les Anglois par mer envoyés à Bordeaulx, et dis (?) Duc d’Anjou delivrés les ville et chasteau de La Rochelle, lequel y entra en grand Triomphe. Et quand il fut il fit abatre et raser le chasteau. Et pour ce que ceux de la ville sestoient bien portés vers luy, il leur octroya Privilège de forger monnoye en leur ville, ce que jamais ne avoient sçu avoir et au Roy son frère fit ratiffier son octroy, qui de ce luy envoya lettres de ratification lesquelles le Duc bailla aux Rochelloys. dont moult le mercyèrent et luy promirent et jurèrent être toutes leurs vies loyaulx à la Couronne de France.

Hystoire agregative des Annales et croniques d’Anjou contenant le commencement et
origine avec parties des chevaleureux et marciaulx gestes des Magnanimes Princes,
Consuls Contes et Ducs d’Anjou - recueillies et mises en formes par noble et discret Missire
Jehan de Bourdigné pretre Docteur es Droicts et depuis revues et a dditionnées par le
viateur. A Angers Charles de Boingne et Clement Alexandre. L’An 1529.
Fac-similé du document original
À titre documentaire, voici la liste des Rochelais qui prêtèrent serment
au roi-duc d'Aquitaine, Edouard III d'Angleterre en l'an 1360